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ce changement soudain. Ce qui diminua, le ravissement auquel elle était livrée depuis le moment où, la veille, plongée dans le désespoir, elle avait trouvé les bouquets dans l’arbre, ce fut cette question qu’elle se fit : « Quelle conduite dois-je tenir avec mon ami pour qu’il m’estime ? Un homme d’autant d’esprit, et qui a l’avantage d’avoir quarante ans, doit être bien sévère. Son estime pour moi tombera tout à fait si je me permets une fausse démarche. »

Comme Ernestine se livrait à ce monologue, dans la situation la plus propre à seconder les méditations sérieuses d’une jeune fille devant sa psyché, elle observa, avec un étonnement mêlé d’horreur, qu’elle avait à sa ceinture un crochet en or avec de petites chaînes portant le dé, les ciseaux et leur petit étui, bijou charmant qu’elle ne pouvait se lasser d’admirer encore la veille, et que son oncle lui avait donné pour le jour de sa fête il n’y avait pas quinze jours. Ce qui lui fit regarder ce bijou avec horreur et le lui fit ôter avec tant d’empressement, c’est qu’elle se rappela que sa bonne lui avait dit qu’il coûtait huit cent cinquante francs, et qu’il avait été acheté chez le plus fameux bijoutier de Paris, qui s’appelait Laurençot : « Que penserait de moi mon ami, lui qui a l’honneur d’être pauvre, s’il me voyait un bijou