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Le second billet, celui du lundi, était au crayon, et même assez mal écrit ; mais Ernestine n’en était plus au temps où la jolie écriture anglaise de son inconnu était un charme à ses yeux ; elle avait des affaires trop sérieuses pour faire attention à ces détails.

« Je suis venu. J’ai été assez heureux pour que quelqu’un parlât de vous en ma présence. On m’a dit qu’hier vous avez traversé le lac. Je vois que vous n’avez pas daigné prendre le billet que j’avais laissé. Il décide mon sort. Vous aimez, et ce n’est pas moi. Il y avait de la folie, à mon âge, à m’attacher à une fille du vôtre. Adieu pour toujours. Je ne joindrai pas le malheur d’être importun à celui de vous avoir trop longtemps occupée d’une passion peut-être ridicule à vos yeux. » — D’une passion ! dit Ernestine en levant les yeux au ciel. Ce moment fut bien doux. Cette jeune fille, remarquable par sa beauté, et à la fleur de la jeunesse, s’écria avec ravissement : « Il daigne m’aimer ; ah ! mon Dieu ! que je suis heureuse ! » Elle tomba à genoux devant une charmante madone de Carlo Dolci rapportée d’Italie par un de ses aïeux. — « Ah ! oui, je serai bonne et vertueuse ! s’écria-t-elle les larmes aux yeux. Mon Dieu, daignez seulement m’indiquer mes défauts, pour que je puisse m’en