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Le dîner sonna ; elle eut beaucoup de peine à sécher ses larmes. Elle parut enfin dans le salon ; elle y trouva M. Villars, vieux botaniste, qui, tous les ans, venait passer huit jours avec M. de S…, au grand chagrin de sa bonne, érigée en gouvernante, qui, pendant ce temps, perdait sa place à la table de M. le comte. Tout se passa fort bien jusqu’au moment du Champagne ; on apporta le seau près d’Ernestine. La glace était fondue depuis longtemps. Elle appela un domestique et lui dit : « Changez cette eau et mettez-y de la glace, vite. — Voilà un petit ton impérieux qui te va fort bien », dit en riant son bon grand-oncle. Au mot d’impérieux, les larmes inondèrent les yeux d’Ernestine, au point qu’il lui fut impossible de les cacher ; elle fut obligée de quitter le salon, et comme elle fermait la porte, on entendit que ses sanglots la suffoquaient. Les vieillards restèrent tout interdits.

Deux jours après, elle passa près du grand chêne ; elle s’approcha et regarda dans la cachette, comme pour revoir les lieux où elle avait été heureuse. Quel fut son ravissement en y trouvant deux bouquets ! Elle les saisit avec les petits papiers, les mit dans son mouchoir, et partit en courant pour le château, sans s’inquiéter si l’inconnu, caché dans le bois, n’avait