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DE L’AMOUR

assez près d’elle pour la rassurer. Les branches basses et à peu près horizontales du chêne immense s’étendaient presque jusqu’au lac. D’un pas décidé et avec une sorte de sang-froid sombre et résolu, elle s’approcha de l’arbre, de l’air dont elle eût marché à la mort. Elle était bien sûre de ne rien trouver dans la cachette ; en effet, elle n’y vit qu’une fleur fanée qui avait appartenu au bouquet de la veille : — « S’il eût été content de moi, se dit-elle, il n’eût pas manqué de me remercier par un bouquet. »

Elle se fit ramener au château, monta chez elle en courant, et, une fois dans sa petite tour, bien sûre de n’être pas surprise, fondit en larmes. « Mlle de C… avait bien raison, se dit-elle ; pour me trouver jolie, il faut me voir à cinq cents pas de distance. Comme dans ce pays de libéraux, mon oncle ne voit personne que des paysans et des curés, mes manières doivent avoir contracté quelque chose de rude, peut-être de grossier. J’aurai dans le regard une expression impérieuse et repoussante. » — Elle s’approche de son miroir pour observer ce regard, elle voit des yeux d’un bleu sombre noyés de pleurs. — « Dans ce moment, dit-elle, je ne puis avoir cet air impérieux qui m’empêchera toujours de plaire. »