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DE L’AMOUR

sentiments les plus violents. Pendant quatre journées, qui paraissent quatre siècles à la jeune solitaire, elle est retenue par une crainte indéfinissable ; elle ne sort pas du château. Le cinquième jour son oncle, toujours plus inquiet de sa santé, la force à l’accompagner dans le petit bois ; elle se trouve près de l’arbre fatal ; elle lit sur le petit fragment de papier caché dans le bouquet :

« Si vous daignez prendre ce camellia panaché, dimanche je serai à l’église de votre village. »

Ernestine vit à l’église un homme mis avec une simplicité extrême, et qui pouvait avoir trente-cinq ans. Elle remarqua qu’il n’avait pas même de croix. Il lisait, et, en tenant son livre d’heures d’une certaine manière, il ne cessa presque pas un instant d’avoir les yeux sur elle. C’est dire que, pendant tout le service, Ernestine fut hors d’état de penser à rien. Elle laissa choir son livre d’heures, en sortant de l’antique banc seigneurial, et faillit tomber elle-même en le ramassant. Elle rougit beaucoup de sa maladresse. « Il m’aura trouvée si gauche, se dit-elle aussitôt, qu’il aura honte de s’occuper de moi. » En effet, à partir du moment où ce petit accident était survenu, elle ne vit plus l’étranger. Ce fut en vain qu’après être