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DE L’AMOUR

inopinée d’un bonheur extrême ; elles veulent dire : « Qu’il est doux d’être aimé ! » — C’est dans un moment où le saisissement du premier bonheur de sa vie égarait son jugement qu’Ernestine a eu le tort de prendre cette fleur. Mais elle n’en est pas encore à voir et à se reprocher cette inconséquence.

Pour nous, qui avons moins d’illusions, nous reconnaissons la troisième période de la naissance de l’amour : l’apparition de l’espoir. Ernestine ne sait pas que son cœur se dit, en regardant cette rose : « Maintenant, il est certain qu’il m’aime. »

Mais peut-il être vrai qu’Ernestine soit sur le point d’aimer ? Ce sentiment ne choque-t-il pas toutes les règles du plus simple bon sens ? Quoi ! elle n’a vu que trois fois l’homme qui, dans ce moment, lui fait verser des larmes brûlantes ! Et encore elle ne l’a vu qu’à travers le lac, à une grande distance, à cinq cents pas peut-être. Bien plus, si elle le rencontrait sans fusil et sans veste de chasse, peut-être qu’elle ne le reconnaîtrait pas. Elle ignore son nom, ce qu’il est, et pourtant ses journées se passent à se nourrir de sentiments passionnés, dont je suis obligé d’abréger l’expression, car je n’ai pas l’espace qu’il faut pour faire un roman. Ces sentiments ne sont que des variations de cette idée :