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pour mon affreux malheur, daignez prendre la rose blanche. » Pendant qu’elle relit ces mots étonnants, sa main, sans qu’elle le sache, a détaché la rose blanche qui est au milieu du bouquet. — « Il est donc bien malheureux, se dit-elle ! » — En ce moment son oncle l’appelle, elle le suit, mais elle est heureuse. Elle tient sa rose blanche dans son petit mouchoir de batiste, et la batiste est si fine, que tout le temps que dure encore la promenade, elle peut apercevoir la couleur de la rose à travers le tissu léger. Elle tient son mouchoir de manière à ne pas faner cette rose chérie.

À peine rentrée, elle monte en courant l’escalier rapide qui conduit à sa petite tour, dans l’angle du château. Elle ose enfin contempler sans contrainte cette rose adorée et en rassasier ses regards à travers les douces larmes qui s’échappent de ses yeux.

Que veulent dire ces pleurs ? Ernestine l’ignore. Si elle pouvait deviner le sentiment qui les fait couler, elle aurait le courage de sacrifier la rose qu’elle vient de placer avec tant de soin dans son verre de cristal, sur sa petite table d’acajou. Mais, pour peu que le lecteur ait le chagrin de n’avoir plus vingt ans, il devinera que ces larmes, loin d’être de la douleur, sont les compagnes inséparables de la vue