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DE L’AMOUR

plus à la mode du faubourg Saint-Germain, Ernestine n’a rien vu d’aussi joli. Tout à coup elle rougit beaucoup, elle se rapproche de sa gouvernante, et l’engage à retourner au château. Pour y arriver plus vite, au lieu de remonter dans le vallon et de faire le tour du lac comme de coutume, Ernestine prend le sentier du petit pont qui mène au château en ligne droite. Elle est pensive, elle se promet de ne plus revenir de ce côté ; car enfin elle vient de découvrir que c’est une espèce de billet qu’on a osé lui adresser. Cependant, il n’était pas fermé, se dit-elle tout bas. De ce moment sa vie est agitée par une affreuse anxiété. Quoi donc ! ne peut-elle pas, même de loin, aller revoir l’arbre chéri ? Le sentiment du devoir s’y oppose. « Si je vais sur l’autre rive du lac, se dit-elle, je ne pourrai plus compter sur les promesses que je me fais à moi-même. » Lorsqu’à huit heures elle entendit le portier fermer la grille du petit pont, ce bruit qui lui ôtait tout espoir sembla la délivrer d’un poids énorme qui accablait sa poitrine ; elle ne pourrait plus maintenant manquer à son devoir, quand même elle aurait la faiblesse d’y consentir. Le lendemain, rien ne peut la tirer d’une sombre rêverie ; elle est abattue, pâle ; son oncle s’en aperçoit ; il fait mettre les chevaux à l’antique berline, on parcourt