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DE L’AMOUR

Le bonheur si agité des passions succède au contentement sans objet et presque machinal de la première jeunesse.

Dix jours s’écoulent. Ernestine compte les jours ! Une fois seulement, elle a vu le jeune chasseur ; il s’est approché de l’arbre chéri, et il avait un bouquet qu’il y a placé comme le premier. — Le vieux comte de S… remarque qu’elle passe sa vie à soigner une volière qu’elle a établie dans les combles du château ; c’est qu’assise auprès d’une petite fenêtre dont la persienne est fermée, elle domine toute l’étendue du bois au delà du lac. Elle est bien sûre que son inconnu ne peut l’apercevoir, et c’est alors qu’elle pense à lui sans contrainte. Une idée lui vient et la tourmente. S’il croit qu’on ne fait aucune attention à ses bouquets, il en conclura qu’on méprise son hommage, qui, après tout, n’est qu’une simple politesse, et, pour peu qu’il ait l’âme bien placée, il ne paraîtra plus. Quatre jours s’écoulent encore, mais avec quelle lenteur ! Le cinquième, la jeune fille, passant par hasard auprès du grand chêne, n’a pu résister à la tentation de jeter un coup d’œil sur le petit creux où elle a vu déposer les bouquets. Elle était avec sa gouvernante et n’avait rien à craindre. Ernestine pensait bien ne trouver que des fleurs fanées ; à son inexprimable joie, elle voit