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un bouquet de fleurs à la main ; il s’arrêta comme pour la regarder ; elle le vit donner un baiser à ce bouquet et ensuite le placer avec une sorte de respect tendre dans le creux d’un grand chêne sur le bord du lac.

Que de pensées cette seule action fit naître ! et que de pensées d’un intérêt très vif, si on les compare aux sensations monotones qui, jusqu’à ce moment, avaient rempli la vie d’Ernestine ! Une nouvelle existence commence pour elle ; osera-t-elle aller voir ce bouquet ? « Dieu ! quelle imprudence, se dit-elle en tressaillant ; et si, au moment où j’approcherai du grand chêne, le jeune chasseur vient à sortir des bosquets voisins ! Quelle honte ! Quelle idée prendrait-il de moi ? » Ce bel arbre était pourtant le but habituel de ses promenades solitaires ; souvent elle allait s’asseoir sur ses racines gigantesque, qui s’élèvent au-dessus de la pelouse et forment, tout à l’entour du tronc, comme autant de bancs naturels abrités par son vaste ombrage.

La nuit, Ernestine put à peine fermer l’œil ; le lendemain, dès cinq heures du matin, à peine l’aurore a-t-elle paru, qu’elle monte dans les combles du château. Ses yeux cherchent le grand chêne au delà du lac ; à peine l’a-t-elle aperçu, qu’elle reste immobile et comme sans respiration.