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DE L’AMOUR

des espérances qu’il avait osé concevoir. Très probablement aussi, la Florenza, effrayée d’aimer un étranger qui peut quitter Bologne au premier moment, et surtout très fâchée qu’il ait pu concevoir sitôt des espérances, les lui aura ôtées avec barbarie. »

Nous avions le bonheur de voir tous les jours de la vie madame Gherardi ; une intimité parfaite régnait dans cette société ; on s’y comprenait à demi-mot ; souvent j’y ai vu rire de plaisanteries qui n’avaient pas eu besoin de la parole pour se faire entendre : un coup d’œil avait tout dit. Ici, un lecteur français s’apercevra qu’une jolie femme d’Italie se livre avec folie à toutes les idées bizarres qui lui passent par la tête. À Rome, à Bologne, à Venise, une jolie femme est reine absolue ; rien ne peut être plus complet que le despotisme qu’elle exerce dans sa société. À Paris, une jolie femme a toujours peur de l’opinion et du bourreau de l’opinion : le ridicule. Elle a constamment au fond du cœur la crainte des plaisanteries, comme un roi absolu la crainte d’une charte. Voilà la secrète pensée qui vient la troubler au milieu d’une joie de ses plaisirs, et lui donner tout à coup une mine sérieuse. Une Italienne trouverait bien ridicule cette autorité limitée qu’une femme de Paris exerce dans son salon. À la lettre, elle est toute-puissante sur les