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passionnés, clairvoyants, et lâches. Un mauvais sort les a jetés auprès d’une femme à titre quelconque ; amoureux fous par exemple, ils boivent jusqu’à la lie le malheur de la voir préférer un rival. Ils sont là pour contrecarrer cet amant fortuné. Rien ne leur échappe, et tout le monde voit que rien ne leur échappe ; mais ils n’en continuent pas moins en dépit de tout sentiment d’honneur à vexer la femme, son amant et eux-mêmes, et personne ne les blâme, car ils font ce qui leur fait plaisir. Un soir l’amant, poussé à bout, leur donne des coups de pied au cul ; le lendemain ils lui en font bien des excuses et recommencent à scier constamment et imperturbablement la femme, l’amant et eux-mêmes. On frémit quand on songe à la quantité de malheur que ces âmes basses ont à dévorer chaque jour, et il ne leur manque, sans doute, qu’un grain de lâcheté de moins pour être empoisonneurs.

Ce n’est aussi qu’en Italie qu’on voit de jeunes élégants millionnaires entretenir magnifiquement des danseuses du grand théâtre, au vu et au su de toute une ville, moyennant trente sous par jour[1]. Les

  1. Voir, dans les mœurs du siècle de Louis XV, l’honneur et l’aristocratie combler de profusions les demoiselles Duthé, la Guerre et autres. Quatre-vingt ou cent mille francs par an n’avaient rien d’extraordinaire : un homme du grand monde se fût avili à moins.