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DE L’AMOUR

humeur noire, et nous adressant la parole : « Je crois, dit-elle, qu’un homme commence à aimer quand je le vois triste. » Nous nous récriâmes aussitôt : « Comment ! l’amour, ce sentiment délicieux qui commence si bien… — Et qui quelquefois finit si mal, par de l’humeur, par des querelles, dit madame Gherardi en riant et regardant Annibal. Je comprends votre objection. Vous autres, hommes grossiers, vous ne voyez qu’une chose dans la naissance de l’amour : on aime ou l’on n’aime pas. C’est ainsi que le vulgaire s’imagine que le chant de tous les rossignols se ressemble ; mais nous, qui prenons plaisir à l’entendre, savons qu’il y a pourtant dix nuances différentes de rossignol à rossignol. — Il me semble pourtant, madame, dit quelqu’un, qu’on aime ou qu’on n’aime pas. — Pas du tout, monsieur ; c’est tout comme si vous disiez qu’un homme qui part de Bologne pour aller à Rome est déjà arrivé aux portes de Rome quand, du haut de l’Apennin, il voit encore notre tour Garisenda. Il y a loin de l’une de ces deux villes à l’autre, et l’on peut être au quart du chemin, à la moitié, aux trois quarts, sans pour cela être arrivé à Rome, et cependant l’on n’est plus à Bologne. — Dans cette belle comparaison, dis-je, Bologne représente apparemment l’indifférence