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DE L’AMOUR

peu sot s’appelait le colonel Annibal), je parie que, dans ce moment, vous ne me trouvez pas exactement parfaite ? Vous pensez que je fais mal d’admettre ce jeune homme dans ma société. Savez-vous ce qui vous arrive, mon cher ? Vous ne cristallisez plus pour moi. »

Le mot cristallisation devint à la mode parmi nous, et il avait tellement frappé l’imagination de la belle Ghita, qu’elle l’adopta pour tout.

De retour à Bologne, on ne racontait guère d’anecdotes d’amour dans sa loge qu’elle ne m’adressât la parole. « Ce trait-ci confirme ou détruit telle de nos théories, » me disait-elle. Les actes de folie répétés par lesquels un amant aperçoit toutes les perfections dans la femme qu’il commence à aimer s’appelèrent toujours cristallisation entre nous. Ce mot nous rappelait le plus aimable voyage. De ma vie je ne sentis si bien la beauté touchante et solitaire des rives du lac de Garde ; nous passâmes dans des barques des soirées délicieuses, malgré la chaleur étouffante. Nous trouvâmes de ces instants qu’on n’oublie plus : ce fut un des moments brillants de notre jeunesse.

Un soir, quelqu’un vint nous donner la nouvelle que la princesse Lanfranchi et la belle Florenza se disputaient le cœur du