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DE L’AMOUR

Calais. Mais mon portrait avait été si fort répandu, dix-huit mois auparavant, que je fus reconnu à la dernière poste ; cependant on me laissa passer. J’arrivai à une auberge à Calais, où, comme vous pouvez penser, je ne dormis guère, et fort heureusement pour moi, car, vers les quatre heures du matin, j’entendis très distinctement prononcer mon nom. Pendant que je me lève et m’habille à la hâte, je distingue fort bien malgré l’obscurité, des gardes nationaux avec leurs fusils, pour lesquels on ouvre la grande porte et qui entrent dans la cour de l’auberge. Heureusement il pleuvait à verse ; c’était une matinée d’hiver fort obscure avec un grand vent. L’obscurité et le bruit du vent me permirent de me sauver par la cour de derrière et l’écurie des chevaux. Me voilà dans la rue à sept heures du matin, sans ressource aucune.

« Je pensai qu’on allait me courir après de mon auberge. Ne sachant trop ce que je faisais, j’allai près du port sur la jetée. J’avoue que j’avais un peu perdu la tête : je ne me voyais pour toute perspective que la guillotine.

« Il y avait un paquebot qui sortait du port par une mer fort grosse et qui était déjà à vingt toises de la jetée. Tout à coup j’entends des cris du côté de la mer,