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homme (1784), réduit à courir du matin au soir tous les quartiers de la ville, pour y donner des leçons d’histoire et de géographie. Amoureux d’une de ses élèves, comme Abélard d’Héloïse, comme Saint-Preux de Julie ; moins heureux, sans doute, mais probablement assez près de l’être ; avec autant de passion que ce dernier, mais l’âme plus honnête, plus délicate et surtout plus courageuse, il paraît s’être immolé à l’objet de sa passion. Voici ce qu’il a écrit avant de se brûler la cervelle, après avoir dîné chez un restaurateur au Palais-Royal, sans laisser échapper aucune marque de trouble ni d’aliénation : c’est du procès-verbal dressé sur les lieux par le commissaire et les officiers de la police, qu’on a tiré la copie de ce billet, assez remarquable pour mériter d’être conservé.

« Le contraste inconcevable qui se trouve entre la noblesse de mes sentiments et la bassesse de ma naissance, un amour aussi violent qu’insurmontable pour une fille adorable[1], la crainte de causer son déshonneur, la nécessité de choisir entre le crime et la mort, tout m’a déterminé à abandonner la vie. J’étais né pour

  1. Il paraît qu’il s’agit de mademoiselle Gromaire, fille de M. Gromaire, expéditionnaire en cour de Rome.