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heures on put réunir M. Béclar, M. Larrey et quelques chirurgiens estimés ; on fit une consultation dont le résultat fut d’annoncer à mon ami qu’il n’avait pas la gangrène. À ce moment je vis son bonheur, il fut grand, cependant il n’était pas pur. Son âme, en secret, ne croyait pas en être tout à fait quitte, il refaisait le travail des chirurgiens, il examinait s’il pouvait entièrement s’en rapporter à eux. Il entrevoyait encore un peu la possibilité de la gangrène. Aujourd’hui, au bout de huit ans, quand on lui parle de cette consultation, il éprouve un sentiment de peine, il a la vue imprévue d’un des malheurs de la vie.

Le plaisir causé par la cessation de la douleur consiste : 1o à remporter la victoire contre toutes les objections qu’on se faisait successivement ;

2o A revoir tous les avantages dont on allait être privé.

Le plaisir causé par le gain de cinq cent mille francs, consiste à prévoir tous les plaisirs nouveaux et extraordinaires qu’on va se donner.

Il y a une exception singulière : il faut voir si cet homme a trop, ou trop peu d’habitude de désirer une grande fortune. S’il a trop peu de cette habitude, s’il a la tête étroite, le sentiment d’embarras durera deux ou trois jours.