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DE L’AMOUR

M. Verri dit que oui, et il me semble que non.

Tous les plaisirs ne viennent pas de la cessation de la douleur.

Un homme avait depuis longtemps six mille livres de rente, il gagne cinq cent mille francs à la loterie. Cet homme s’était déshabitué de désirer les choses que l’on ne peut obtenir que par une grande fortune. (Je dirai, en passant, qu’un des inconvénients de Paris, c’est la facilité de perdre cette habitude.)

On invente la machine à tailler les plumes ; je l’ai achetée ce matin, et c’est un grand plaisir pour moi, qui m’impatiente à tailler les plumes, mais certainement je n’étais pas malheureux hier de ne pas connaître cette machine. Pétrarque était-il malheureux de ne pas prendre de café ?

Il est inutile de définir le bonheur, tout le monde le connaît : par exemple la première perdrix que l’on tue au vol à douze ans ; la première bataille d’où l’on sort sain et sauf à dix-sept.

Le plaisir qui n’est que la cessation d’une peine passe bien vite, et au bout de quelques années le souvenir n’en est pas même agréable. Un de mes amis fut blessé au côté par un éclat d’obus, à la bataille de la Moskowa, quelques jours après, il fut menacé de la gangrène, au bout de quelques