Page:Stendhal - De l’amour, II, 1927, éd. Martineau.djvu/246

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

126.

L’image du premier amour est la plus généralement touchante ; pourquoi ? C’est qu’il est presque le même dans tous les rangs, dans tous les pays, dans tous les caractères. Donc ce premier amour n’est pas le plus passionné.

127.

La raison, la raison ! Voilà ce qu’on crie toujours à un pauvre amant. En 1760, dans le moment le plus animé de la guerre de sept ans, Grimm écrivait : « … Il n’est point douteux que le roi de Prusse n’eût prévenu cette guerre avant qu’elle n’éclatât, en cédant la Silésie. En cela il eût fait une action très sage. Combien de maux il aurait prévenus ! Que peut avoir de commun la possession d’une province avec le bonheur d’un roi ? et le grand électeur n’était-il pas un prince très heureux et très respecté sans posséder la Silésie ? Voilà comment un roi aurait pu se conduire en suivant les préceptes de la plus saine raison, et je ne sais comment il serait arrivé que ce roi eût été l’objet des mépris de toute la terre, tandis que Frédéric sacrifiant tout au besoin de conserver la Silésie s’est couvert d’une gloire immortelle.