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tristes souvenirs arrachent des pleurs à Némésis. Il ne veut point à ce prix acheter même le bonheur. Nééra est sa troisième maîtresse. Il a joui longtemps de son amour ; il ne demande aux dieux que de vivre et de mourir avec elle ; mais elle part, elle est absente ; il ne peut s’occuper que d’elle, il ne demande qu’elle aux dieux ; il a vu en songe Apollon qui lui a annoncé que Nééra l’abandonne. Il refuse de croire à ce songe ; il ne pourrait survivre à ce malheur, et cependant ce malheur existe. Nééra est infidèle ; il est encore une fois abandonné. Tel fut le caractère et le sort de Tibulle, tel est le triple et assez triste roman de ses amours.

« C’est en lui surtout qu’une douce mélancolie domine, qu’elle donne même au plaisir une teinte de rêverie et de tristesse qui en fait le charme. S’il y eut un poète ancien qui mit du moral dans l’amour, ce fut Tibulle ; mais ces nuances de sentiment qu’il exprime si bien sont en lui, il ne songe pas plus que les deux autres à les chercher ou à les faire naître chez ses maîtresses ; leurs grâces, leur beauté, sont tout ce qui l’enflamme ; leurs faveurs, ce qu’il désire ou ce qu’il regrette ; leur perfidie, leur vénalité, leur abandon, ce qui le tourmente. De toutes ces femmes devenues célèbres par les vers de trois