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Corinne et Cinthie ont toutes les femmes pour rivales ; elles n’en ont particulièrement aucune. La muse de ces deux poètes est fidèle si leur amour ne l’est pas, et aucun autre nom que ceux de Corinne et de Cinthie ne figure dans leurs vers. Tibulle, amant et poète plus tendre, moins vif et moins emporté qu’eux dans ses goûts, n’a pas la même constance. Trois beautés sont l’une après l’autre les objets de son amour et de ses vers. Délie est la première, la plus célèbre, et aussi la plus aimée. Tibulle a perdu sa fortune, mais il lui reste la campagne et Délie ; qu’il la possède dans la paix des champs, qu’il puisse en expirant presser la main de Délie dans le sienne ; qu’elle suive en pleurant sa pompe funèbre, il ne forme point d’autres vœux. Délie est enfermée par un mari jaloux : il pénétrera dans sa prison malgré les Argus et les triples verrous. Il oubliera dans ses bras toutes ses peines. Il tombe malade, et Délie seule l’occupe. Il l’engage à être toujours chaste, à mépriser l’or, à n’accorder qu’à lui ce qu’il a obtenu d’elle. Mais Délie ne suit point ce conseil. Il a cru pouvoir supporter son infidélité : il y succombe et demande grâce à Délie et à Vénus. Il cherche dans le vin un remède qu’il n’y trouve pas ; il ne peut ni adoucir ses regrets, ni se guérir de son amour. Il