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honte qui provient d’un immense désir de plaire et du manque de courage, forment un sentiment extrêmement pénible que l’on sent en soi insurmontable, et dont on rougit. Or, si l’âme est occupée à avoir de la honte et à la surmonter, elle ne peut pas être employée à avoir du plaisir ; car, avant de songer au plaisir, qui est un luxe, il faut que la sûreté, qui est le nécessaire, ne courre aucun risque.

Il est des gens qui, comme Rousseau, éprouvent de la mauvaise honte, même chez les filles ; ils n’y vont pas, car on ne les a qu’une fois, et cette première fois est désagréable.

Pour voir, que vanité à part, le premier triomphe est très souvent un effort pénible, il faut distinguer entre le plaisir de l’aventure et le bonheur du moment qui la suit ; on est tout content :

1o De se trouver enfin dans cette situation qu’on a tant désirée ; d’être en possession d’un bonheur parfait pour l’avenir, et d’avoir passé le temps de ces rigueurs si cruelles qui vous faisaient douter de l’amour de ce que vous aimiez ;

2o De s’en être bien tiré, et d’avoir échappé à un danger ; cette circonstance fait que ce n’est pas de la joie pure dans l’amour-passion ; on ne sait ce qu’on fait, et l’on est sûr de ce qu’on aime ; mais dans