Page:Stendhal - De l’amour, II, 1927, éd. Martineau.djvu/165

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vie est de croire conquérir en quinze jours ce qu’un amant transi obtient à peine en six mois. Ils se fondent sur des expériences faites aux dépens de ces pauvres diables qui n’ont ni l’âme qu’il faut pour plaire, en révélant ses mouvements naïfs à une femme tendre, ni l’esprit nécessaire pour le rôle de don Juan. Ils ne veulent pas voir que ce qu’ils obtiennent, fût-il même accordé par la même femme, n’est pas la même chose.

L’homme prudent sans cesse se méfie ;
C’est pour cela que des amants trompeurs
Le nombre est grand. Les dames que l’on prie
Font soupirer longtemps des serviteurs
Qui n’ont jamais été faux de leur vie.
Mais du trésor qu’elles donnent enfin
Le prix n’est su que du cœur qui le goûte ;
Plus on l’achète et plus il est divin :
Le los d’amour ne vaut que ce qu’il coûte.

Nivernais, le Troubadour Guillaume de la Tour, iii, 342.

L’amour-passion à l’égard des don Juan peut se comparer à une route singulière, escarpée, incommode, qui commence à la vérité parmi des bosquets charmants, mais bientôt se perd entre des rochers taillés à pic, dont l’aspect n’a rien de flatteur pour les yeux vulgaires. Peu à peu la route s’enfonce dans les hautes montagnes au milieu d’une forêt sombre dont les arbres immenses en interceptant le jour,