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plaisirs ; après un an ou deux, quand l’amant n’a plus pour ainsi dire qu’une âme avec ce qu’il aime, et cela, chose étrange, même indépendamment des succès en amour, même avec les rigueurs de sa maîtresse, quoi qu’il fasse ou qu’il voie, il se demande : Que dirait-elle si elle était avec moi ? que lui dirais-je de cette vue de Casa-Lecchio ? Il lui parle, il écoute ses réponses, il rit des plaisanteries qu’elle lui fait. À cent lieues d’elle et sous le poids de sa colère, il se surprend à se faire cette réflexion : Léonore était fort gaie ce soir. Il se réveille : Mais, mon Dieu, se dit-il en soupirant, il y a des fous à Bedlam qui le sont moins que moi !

— « Mais vous m’impatientez, me dit un de mes amis auquel je lis cette remarque : vous opposez sans cesse l’homme passionné au don Juan, ce n’est pas là la question. Vous auriez raison si l’on pouvait à volonté se donner une passion. Mais dans l’indifférence que faire ? » — L’amour-goût sans horreurs. Les horreurs viennent toujours d’une petite âme qui a besoin de se rassurer sur son propre mérite.

Continuons. Les don Juan doivent avoir bien de la peine à convenir de la vérité de cet état de l’âme dont je parlais tout à l’heure. Outre qu’ils ne peuvent le voir ni le sentir, il choque trop leur vanité. L’erreur de leur