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senter l’image fidèle ; ce tableau ressemblant ferait horreur.

Mais on peut espérer qu’un homme supérieur détournera ses pas de cette route fatale, car il y a une contradiction au fond du caractère de don Juan. Je lui ai supposé beaucoup d’esprit, et beaucoup d’esprit conduit à la découverte de la vertu par le chemin du temple de la gloire[1].

La Rochefoucauld qui s’entendait pourtant en amour-propre, et qui dans la vie réelle n’était rien moins qu’un nigaud d’homme de lettres[2], dit (267) : « Le plaisir de l’amour est d’aimer, et l’on est plus heureux par la passion que l’on a, que par celle que l’on inspire. »

Le bonheur de don Juan n’est que de la vanité basée, il est vrai, sur des circonstances amenées par beaucoup d’esprit et d’activité ; mais il doit sentir que le moindre général qui gagne une bataille, que le moindre préfet qui contient un département, a une jouissance plus remarquable que la sienne ; tandis que le bonheur du duc de Nemours quand madame de Clèves lui dit qu’elle l’aime est, je crois, au-dessus du bonheur de Napoléon à Marengo.

  1. Le caractère du jeune privilégié, en 1822, est assez correctement représenté par le brave Bothwell, d’Old Mortality.
  2. Voir les Mémoires de Retz, et le mauvais moment qu’il fit passer au coadjuteur, entre deux portes, au Parlement.