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à une ville pour se faire cuire un œuf[1]. Il faut l’excuser ; il est tellement possédé de l’amour de soi-même qu’il arrive au point de perdre l’idée du mal qu’il cause, et de ne voir plus que lui dans l’univers qui puisse jouir ou souffrir. Dans le feu de la jeunesse, quand toutes les passions font sentir la vie dans notre propre cœur et éloignent la méfiance de celui des autres, don Juan, plein de sensations et de bonheur apparent, s’applaudit de ne songer qu’à soi, tandis qu’il voit les autres hommes sacrifier au devoir ; il croit avoir trouvé le grand art de vivre. Mais au milieu de son triomphe, à peine à trente ans, il s’aperçoit avec étonnement que la vie lui manque, il éprouve un dégoût croissant pour ce qui faisait tous ses plaisirs. Don Juan me disait à Thorn, dans un accès d’humeur noire : « Il n’y a pas vingt variétés de femmes, et une fois qu’on en a eu deux ou trois de chaque variété, la satiété commence. »

  1. Voir Saint-Simon, fausse couche de madame la duchesse de Bourgogne ; et Madame de Motteville, passim. Cette princesse, qui s’étonnait que les autres femmes eussent cinq doigts à la main comme elle ; ce duc d’Orléans, Gaston, frère de Louis XIII, trouvant si simple que ses favoris allassent à l’échafaud pour lui faire plaisir. Voyez, en 1820, ces messieurs mettre en avant une loi d’élection qui peut ramener les Robespierre en France, etc., etc. ; voyez Naples en 1799. (Je laisse cette note écrite en 1820. Liste des grands seigneurs de 1778 avec des notes sur leur moralité, données par le général Laclos, vue à Naples, chez le marquis Berio ; manuscrit de plus de trois cents pages bien scandaleux.)