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pagne, l’Italie, peuvent encore donner de grands hommes. Dans ces climats où une chaleur brûlante exalte la bile pendant trois mois de l’année, ce n’est que la direction du ressort qui manque ; à Paris, j’ai peur que ce soit le ressort lui-même[1].

Beaucoup de nos jeunes gens, si braves -d’ailleurs à Montmirail ou au bois de Boulogne, ont peur d’aimer, et c’est réellement par pusillanimité qu’on les voit à vingt ans fuir la vue d’une jeune fille qu’ils ont trouvée jolie. Quand ils se rappellent ce qu’ils ont lu dans les romans qu’il est convenable qu’un amant fasse, ils se sentent glacés. Ces âmes froides ne conçoivent pas que l’orage des passions, en formant les ondes de la mer, enfle les voiles du vaisseau et lui donne la force de les surmonter.

L’amour est une fleur délicieuse, mais il faut avoir le courage d’aller la cueillir

  1. À Paris, pour être bien, il faut faire attention à un million de petites choses. Cependant voici une objection très forte. L’on compte beaucoup plus de femmes qui se tuent par amour, à Paris, que dans toutes les villes d’Italie ensemble. Ce fait m’embarrasse beaucoup ;je ne sais qu’y répondre pour le moment, mais il ne change pas mon opinion. Peut-être que la mort paraît peu de chose dans ce moment aux Français, tant la vie ultra-civilisée est ennuyeuse, ou plutôt on se brûle la cervelle outré d’un malheur de vanité.