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qu’on met à les avoir exactement le même intérêt qu’à une partie de billard. Comme la société connaît aux amoureux un grand intérêt dans la vie, quelque esprit qu’ils aient, ils prêtent le flanc à la plaisanterie ; mais le matin en s’éveillant, au lieu d’avoir de l’humeur jusqu’à ce que quelque chose de piquant et de malin les soit venu ranimer, ils songent à ce qu’ils aiment et font des châteaux en Espagne habités par le bonheur.

L’amour à la Werther ouvre l’âme à tous les arts, à toutes les impressions douces et romantiques, au clair de lune, à la beauté des bois, à celle de la peinture, en un mot au sentiment et à la jouissance du beau, sous quelque forme qu’il se présente, fût-ce sous un habit de bure. Il fait trouver le bonheur même sans les richesses[1]. Ces

  1. Premier volume de la Nouvelle Héloïse, et tous les volumes si Saint-Preux se fût trouvé avoir l’ombre du caractère ; mais c’était un vrai poète, un bavard sans résolution, qui n’avait du cœur qu’après avoir péroré, d’ailleurs homme fort plat. Ces gens-là ont l’immense avantage de ne pas choquer l’orgueil féminin et de ne jamais donner d’étonnement à leur amie. Qu’on pèse ce mot ; c’est peut-être là tout le secret du succès des hommes plats auprès des femmes distinguées. Cependant l’amour n’est une passion qu’autant qu’il fait oublier l’amour-propre. Elles ne sentent donc pas complètement l’amour les femmes qui, comme L…, lui demandent les plaisirs de l’orgueil. Sans s’en douter, elles sont à la même hauteur que l’homme prosaïque, objet de leur mépris, qui cherche dans l’amour, l’amour et la vanité. Elles, elles veulent l’amour et l’orgueil ; mais l’amour se retire la rougeur sur le front ; c’est le plus orgueilleux des despotes : ou il est tout, ou il n’est rien.