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de ce talent. Une mère qui a l’esprit cultivé donnera à son jeune fils une idée, non seulement de tous les talents purement agréables, mais encore de tous les talents utiles à l’homme en société, et il pourra choisir. La barbarie des Turcs tient en grande partie à l’état d’abrutissement moral des belles Géorgiennes. Les jeunes gens nés à Paris doivent à leurs mères l’inconstestable supériorité qu’ils ont à seize ans sur les jeunes provinciaux de leur âge. C’est de seize à vingt-cinq que la chance tourne.

Tous les jours les gens qui ont inventé le paratonnerre, l’imprimerie, l’art de faire le drap, contribuent à notre bonheur, et il en est de même des Montesquieu, des Racine, des la Fontaine. Or le nombre des génies que produit une nation est proportionnel au nombre d’hommes qui reçoivent une culture suffisante[1], et rien ne me prouve que mon bottier n’ait pas l’âme qu’il faut pour écrire comme Corneille ; il lui manque l’éducation nécessaire pour développer ses sentiments, et lui apprendre à les communiquer au public.

D’après le système actuel de l’éducation des jeunes filles, tous les génies qui naissent femmes sont perdus pour le bonheur

  1. Voir les généraux en 1795.