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d'aimer sans en goûter en entier le bon­heur, et ce ne sera que lorsque notre âme affaiblie ne sentira plus que faible­ment, et que notre tête vieillie aura pris de la raideur, que nous pourrons vivre ensemble.

Je te dirai en grand secret que j'ai com­mencé aujourd'hui, 3 fructidor, à prendre des leçons de déclamation de La Rive, cé­lèbre acteur tragique. Ce n'est pas que je m'occupe encore de cet art ; mais les mé­decins m'ont conseillé de me distraire ; ils m'ont dit que je périrais de mélancolie si je ne prenais pas ce parti. J'y vais avec Martial Daru, que nous appellerons dé­sormais Pacé. J'y suis donc allé ce matin ; j'en suis revenu à onze heures pour tra­vailler, mais rien ne m'intéressait ; j'avais besoin d'être auprès de gens que j'ai­masse, de leur parler, de les serrer contre mon sein, et non de travailler à connaître de nouvelles vérités. J'ai pris des romans, ils m'ont tous parus niais et enflés au lieu de tendres ; j'ai voulu lire la Nouvelle Héloïse ; mais je la sais par cœur. J'ai donc passé toute ma journée à rêver, et, à cette heure, je vais à la comédie pour me distraire. Ge n'est pas que l'état dans lequel je suis, cette surabondance de ten­dresse, soit pénible, il serait le bonheur si on avait à qui dire ; « Je vous aime ! »