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veux au inoins profiter des derniers moments qui me restent ; il faudra prendre un état, et je ne vois que le militaire. C'est une triste chose de sacrifier sa vie entière à un préjugé. Je reviendrai soldat : c'est encore, de tous les états, celui qui m'ennuie le moins. Je pourrais me rendre indépendant d'une certaine façon, mais en me mettant sous le joug d'une autre. J'ai donné à déjeuner ce matin à un homme qui me rendait ma visite et qui m'a fait entendre que, si je voulais, on me donne­rait certaine demoiselle. Je lui ai fait débiter sa commission, qu'il a faite avec beaucoup d'esprit, et puis j'ai éloigné la proposition. La demoiselle a dix-huit ans ; elle est jolie, grande, bien faite, a trois cent mille livres aujourd'hui, et en aura cinq cent mille dans dix ans. Je suis aimé dans la famille, on y a de moi une idée exagérée en bien. Voilà le piège, mais je ne m'y prendrai pas. Je serais riche, mais esclave de tous les usages ; j'aurais un bel hôtel, mais peut-être pas un pigeon­nier où pouvoir lire tranquillement Corneille et Alfieri.

Cette proposition me trouble cependant : je pense à la douceur de ne plus dépendre. Si la chose se faisait, je me réserverais auprès de mademoiselle de Nardon de voyager quatre mois par an.