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à ce point, que reste-t-il à faire à l'homme sensible et honnête ? Se mariera-t-il pour avoir le désespoir de voir les dérèglements de sa femme et le malheur affreux de ne pas oser montrer sa tristesse ? ou espérera-t-il dans sa femme assez de vertu pour lutter contre tout l'effort des mœurs de son siècle ? Et dans ce dernier cas la cer­titude de l'immensité du danger lui don­nerait des soupçons, et le bonheur est bien loin dès que les soupçons paraissent.

Actuellement, si vous supposez à cet homme sensible assez de force pour rai­sonner ainsi de sang-froid, mais non pas assez pour dompter et le courant de son siècle et toute l'impétuosité de ses passions, que deviendra-t-iî dans l'orage, doutant même dans le calme ?

Je vous avouerai, mon cher Edouard, qu'agité par ces réflexions, qui même ne se sont débrouillées à mes yeux que depuis quelques jours, j'ai jusqu'ici été conduit par le hasard. J'espérais trouver une femme qui pût sentir l'amour mieux que ça. Je les croyais toutes sensibles, je n'ai vu que des sens et de la vanité. J'en suis à re­gretter de m'être formé une chimère que je cherche depuis cinq ans. Je veux em­ployer toute ma raison pour la chasser, et elle revient toujours. Je lui ai donné un nom, des yeux, une physionomie ; je la