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B, un homme prétendait surtout à l’énergie et au courage.

Comment faire campagne, si l’on est gastronome ?

La police de l’Empire pénétrait partout, à ce qu’on prétend ; et Fouché savait tout ce qui se disait dans les salons de Paris. B était persuadé que cet espionnage gigantesque avait conservé tout son pouvoir occulte. Aussi, il n’est sorte de précautions dont il ne s’entourât pour les actions les plus indifférentes.

Jamais il n’écrivait une lettre sans la signer d’un nom supposé : César, Bombet, Cotonet, etc. Il datait ses lettres d’abeille, au lieu de, et souvent les commençait par une telle phrase : “ J’ai reçu vos soies grèges, et les ai emmagasinées en attendant leur embarquement. ” Tous ses amis avaient leur nom de guerre, et jamais il ne les appelait d’une autre façon. Personne n’a su exactement quelles gens il voyait, quels livres il avait écrits, quels voyages il avait faits.

Je m’imagine que quelque critique du vingtième siècle découvrira les livres de B dans le fatras de la littérature du dix-neuvième, et qu’il leur rendra la justice qu’ils n’ont pas trouvée auprès des contemporains. c’est ainsi que la réputation de Diderot a grandi au dix-neuvième siècle ; c’est ainsi que Shakespeare, oublié du temps de Saint-Évremond, a été découvert par Garrick. Il serait bien à désirer que les lettres de B fussent publiées un jour ; elles feraient connaître et aimer un homme dont l’esprit et les excellentes qualités ne vivent plus que dans la mémoire d’un petit nombre d’amis.


§ 3. — Opinions littéraires

Balzac. — ... M. Beyle, plus connu sous le pseudonyme de Stendhal, est, selon moi, l’un des maîtres les plus distingués de la littérature des idées... M. Beyle a fait un livre où le sublime éclate de chapitre en chapitre. Il a produit, à l’âge où les hommes trouvent rarement des sujets grandioses et après avoir écrit une vingtaine de volumes extrêmement spirituels, une œuvre qui ne peui être appréciée que par les âmes et par les gens vraiment supérieurs. Enfin, il a écrit le Prince moderne, le roman que Machiavel écrirait, s’il vivait banni de l’Italie au dix-neuvième siècle... Quoique la duchesse, Mosca, Fabrice, le prince et son