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B m’a toujours paru convaincu de cette idée très répandue sous l’Empire, qu’une femme peut toujours être prise d’assaut, et que c’est pour tout homme un devoir d’essayer. “ Ayez-la ; c’est d’abord ce que vous lui devez ”, me disait-il quand je lui parlais d’une femme dont j’étais amoureux. Un soir, à Rome, il me conta que la comtesse venait de lui dire voi au lieu de lei, et me demanda s’il ne devait pas la violer. Je l’y exhortai fort.

Je n’ai connu personne qui fût plus galant homme à recevoir les critiques sur ses ouvrages. Ses amis lui parlaient toujours sans le moindre ménagement. Plusieurs fois, il m’envoya des manuscrits qu’il avait déjà communiqués à V, et qui revenaient avec des notes marginales comme celles-ci : “ Détestable, — Style de portier ”, etc. Quand il fit paraître son livre De l’amour, ce fut à qui s’en moquerait davantage (au fond, fort injustement). Jamais ces critiques n’altérèrent. ses relations avec ses amis.

Il écrivait beaucoup et travaillait longtemps ses ouvrages. Mais, au lieu d’en corriger l’exécution, il en refaisait le plan. S’il effaçait les fautes d’une première rédaction, c’était pour en faire d’autres ; car je ne sache pas qu’il ait jamais essayé de corriger son style.

Quelque raturés que fussent ses manuscrits, on peut dire qu’ils étaient toujours écrits de premier jet.

Ses lettres sont charmantes ; c’est sa conversation même.

Il était très gai dans le monde, fou quelquefois, négligeant trop les convenances et les susceptibilités.

Souvent il était de mauvais ton, mais toujours spirituel et original. Bien qu’il n’eût de ménagements pour personne, il était facilement blessé par des mots échappés sans malice. “ le suis un jeune chien qui joue, me disait-il, et on me mord. ” Il oubliait qu’il mordait parfois lui-même, et assez serré. C’est qu’il ne comprenait guère qu’on pût avoir d’autres opinions que les siennes sur les choses et sur les hommes. Par exemple, il n’a jamais pu croire qu’il y eût des dévots véritables. Un prêtre et un royaliste étaient toujours pour lui des hypocrites.

Ses opinions sur les arts et la littérature ont passé pour des hérésies téméraires lorsqu’il les a produites.

Aujourd’hui, quelques-uns de ses jugements ont l’air de vérités de M. de la Palisse. Lorsqu’il mettait Mozart, Cimarosit, Rossini au-dessus des faiseurs d’opéras-comiques de notre jeunesse, il soulevait des