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lui prouvait très bien, et jamais je ne l’ai vu montrer tant d’émotion. Il avait les larmes aux yeux en me parlant.

Son autre amour-passion fut pour une belle Milanaise, nommée madame. Malgré la bonne foi des Italiennes, qu’il opposait sans cesse à la coquetterie des nôtres, madame le trahissait indignement.

Elle avait eu l’art de lui persuader que son mari, le plus débonnaire des hommes, était un monstre de jalousie ; et elle obligeait B à se cacher à Turin, car sa présence à Milan l’aurait perdue, disait-elle. Une fois tous les dix jours, au cœur de l’hiver, B venait à Milan dans le plus strict incognito, se cachait dans une méchante auberge, et la nuit, était introduit chez sa belle par une femme de chambre qu’il payait bien.

Cela dura quelque temps, et toujours des précautions infinies. Pourtant la femme de chambre eut un remords, et lui avoua qu’on le trompait, et qu’on avait autant d’amants différents qu’il passait de jours en exil. D’abord il n’en voulut rien croire ; à la fin, cependant, il accepta une expérience. On le fit cacher dans un cabinet ; et là, en mettant l’œil au trou d’une serrure, il vit, à trois pieds de lui, la plus monstrueuse pièce de conviction. B me dit que la singularité de la chose et le ridicule de la situation lui donnèrent d’abord une gaieté folle, et qu’il eut toutes les peines du monde à ne pas alarmer les coupables en éclatant de rire. Ce ne fut qu’au bout de quelque temps qu’il sentit son malheur. L’infidèle, que pour toute vengeance il avait un peu persiflée, essaya de le fléchir, lui demandant grâce à genoux, et le suivit dans cette attitude tout le long d’une grande galerie. L’orgueil l’empêcha de lui pardonner, et il s’en accusait avec amertume, en se rappelant l’air passionné de madame. Jamais elle ne lui avait paru si désirable, jamais elle n’avait eu tant d’amour. Il avait sacrifié à l’orgueil le plus grand plaisir qu’il eût pu goûter avec elle. — il fut dix-huit mois à se consoler. “ J’étais abruti, disait-il. Je ne pensais plus. J’étais accablé d’un poids insupportable, sans pouvoir me rendre compte nettement de ce que j’éprouvais. C’est le plus grand des malheurs ; il prive de toute énergie. Depuis, un peu remis de cette langueur accablante, j’avais une curiosité singulière à connaître toutes ses infidélités. Je m’en faisais raconter tous les détails. Cela me faisait un mal affreux, mais j’avais un certain plaisir physique à me la représenter dans toutes les situations où on me la décrivait. ”