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Il fallut employer presque la force pour obtenir qu’il fit quelques centaines de pas. M. B faisait l’éloge du sang-froid de B, et du bon sens qui ne l’abandonnait pas dans un moment où les plus résolus perdaient la tête.

En 18113, B fut témoin involontaire de la déroute d’une brigade entière chargée inopinément par cinq Cosaques. B vit courir environ deux mille hommes, dont cinq généraux, reconnaissables à leurs chapeaux bordés. Il courut comme les autres, mais mal, n’ayant qu’un pied chaussé, et portant une botte à la main. Dans tout ce corps français, il ne se trouva que deux héros qui firent tête aux Cosaques :

Un gendarme, nommé Menneval, et un conscrit, qui tua le cheval du gendarme en voulant tirer sur les Cosaques. B fut chargé de raconter cette panique à l’Empereur, qui l’écoutait avec une fureur concentrée, en faisant tourner une de ces machines en fer qui servent à fixer les persiennes. On chercha le gendarme pour lui donner la croix ; mais il se cachait, et nia d’abord qu’il eût été à l’affaire, persuadé que rien n’est si mauvais que d’être remarqué dans une déroute. Il croyait qu’on voulait le fusiller.

Sur l’amour, B était encore plus éloquent que sur la guerre. Je ne l’ai jamais vu qu’amoureux, ou croyant l’être ; mais il avait eu deux amours-passions (je me sers d’un de ses ternes), dont il n’avait jamais pu guérir. L’un, le premier en date, je crois, lui avait été inspiré par madame, alors dans tout l’éclat de sa beauté. Il avait pour rivaux bien des hommes puissants, entre autres un général fort en faveur, qui abusa un jour de sa position pour obliger B à lui céder sa place auprès de la dame. Le soir même, B trouva moyen de lui faire tenir une petite fable de sa composition, dans laquelle il lui proposait allégoriquement un duel. Je ne sais si la fable fut comprise ; mais on n’accepta pas la moralité, et.B reçut une verte semonce de M. D, son parent et son protecteur ; il n’en continua pas moins les poursuites. En 1836, B me racontait cette aventure le soir, sous les grands arbres de la promenade de Laon. Il ajoutait qu’il venait de voir madame, âgée alors de quarante-sept ans, et qu’il s’était trouvé aussi amoureux qu’au premier jour.

L’un et l’autre avaient eu bien d’autres passions dans l’intervalle. “Comment pouvez-vous m’aimer encore à mon âge ? ” disait-elle. Il le