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princesse l’interrompant ; je ne me sens pas bien…

« Cette femme s’ennuie, se dit Sénecé en se hâtant d’obéir, et rien de contagieux comme l’ennui. » La princesse l’avait suivi des yeux jusqu’au bout de la salle… « Et j’allais décider à l’étourdie du sort de ma vie ! dit-elle avec un sourire amer. Heureusement, ses plaisanteries déplacées m’ont réveillée. Quelle sottise chez cet homme ! Comment puis-je aimer un être qui me comprend si peu ? Il veut m’amuser par un mot plaisant, quand il s’agit de ma vie et de la sienne !… Ah ! je reconnais bien là cette disposition sinistre et sombre qui fait mon malheur ! » Et elle se leva de son fauteuil avec fureur. « Comme ces yeux étaient jolis quand il m’a dit ce mot !… Et, il faut l’avouer, l’intention du pauvre chevalier était aimable. Il a connu le malheur de mon caractère ; il voulait me faire oublier le sombre chagrin qui m’agitait, au lieu de m’en demander la cause. Aimable Français ! Au fait, ai-je connu le bonheur avant de l’aimer ? »

Elle se mit à penser et avec délices aux perfections de son amant. Peu à peu elle fut conduite à la contemplation des grâces de la comtesse Orsini. Son âme commença à voir tout en noir. Les tourments de la plus affreuse jalousie s’emparèrent de son