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porter les cadavres. Au retour de la seconde course, Céliane et sa compagne furent très effrayées. La nuit était devenue un peu moins sombre ; il pouvait être deux heures du matin ; elles virent bien distinctement trois soldats réunis devant la porte du jardin, et ce qui était bien pire : cette porte semblait fermée.

« Voilà la première sottise de notre abbesse », dit Céliane à Martona. « Elle se sera souvenue que la règle de Saint-Benoît veut que la porte du jardin soit fermée. Il nous faudra nous enfuir chez

    espoir d’obtenir un rendez-vous, car depuis qu’il n’était plus aimé, il était devenu malgré toute sa légèreté naturelle un amant passionné.

    L’abbesse, glacée d’horreur, était devenue immobile et refusait de se rendre aux prières de Félize, qui la conjurait de descendre au jardin ; mais enfin Félize, rendue presque folle par ses remords, prit l’abbesse à bras-le-corps et lui fit presque descendre par force les sept à huit marches qui conduisaient de la terrasse de l’orangerie dans le jardin. Félize se hâta de remettre l’abbesse aux soins des premières religieuses qu’elle rencontra. Elle courut à la porte, tremblant d’y rencontrer Rodéric. Elle n’y trouva que la figure stupide de la sentinelle qui, enfin réveillée de sa profonde ivresse par tant de bruit, était là, son arquebuse à la main, regardant ces figures noires qui s’agitaient dans le jardin. L’intention de Félize était de fermer la porte, mais elle vit ce soldat la regarder fixement.

    « Si je ferme la porte », se dit-elle, livré a ses réflexions et piqué de ne plus rien voir, il se rappellera ma figure et pourra me compromettre ».

    Cette idée l’éclaira ; elle se glissa dans une partie obscure du jardin, chercha de là à voir où était Rodelinde, la découvrit enfin, pâle et à demi-morte, s’appuyant contre un olivier, la saisit par la main et toutes deux regagnèrent leurs appartements en toute hâte.