Page:Stendhal - Chroniques italiennes, I, 1929, éd. Martineau.djvu/85

Cette page a été validée par deux contributeurs.

trente pieds. La faiblesse des cannes et la brise assez forte faisaient que Jules avait quelque difficulté à maintenir son bouquet exactement vis-à-vis la fenêtre où il supposait qu’Hélène pouvait se trouver, et d’ailleurs, la nuit était tellement sombre, que de la rue l’on ne pouvait rien apercevoir à une telle hauteur. Immobile devant sa fenêtre, Hélène était profondément agitée. Prendre ce bouquet, n’était-ce pas un aveu ? Elle n’éprouvait d’ailleurs aucun des sentiments qu’une aventure de ce genre ferait naître, de nos jours, chez une jeune fille de la haute société, préparée à la vie par une belle éducation. Comme son père et son frère Fabio étaient dans la maison, sa première pensée fut que le moindre bruit serait suivi d’un coup d’arquebuse dirigé sur Jules ; elle eut pitié du danger que courait ce pauvre jeune homme. Sa seconde pensée fut que, quoiqu’elle le connût encore bien peu, il était pourtant l’être au monde qu’elle aimait le mieux après sa famille. Enfin, après quelques minutes d’hésitation, elle prit le bouquet, et, en touchant les fleurs dans l’obscurité profonde, elle sentit qu’un billet était attaché à la tige d’une fleur ; elle courut sur le grand escalier pour lire ce billet à la lueur de la lampe qui veillait devant l’image de la Madone.