Page:Stendhal - Chroniques italiennes, I, 1929, éd. Martineau.djvu/151

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Après le départ de Jules, Hélène s’était crue à jamais abandonnée. Alors elle avait senti toute la portée du raisonnement de ce pauvre jeune homme si malheureux : elle était sa femme avant qu’il n’eût eu le malheur de rencontrer son frère sur un champ de bataille.

Cette fois, Jules ne fut point accueilli avec ces tournures polies qui lui avaient semblé si cruelles lors de la première entrevue. Hélène ne parut à la vérité que retranchée derrière sa fenêtre grillée ; mais elle était tremblante, et, comme le ton de Jules était fort réservé et que ses tournures de phrases[1] étaient presque celles qu’il eût employées avec une étrangère, ce fut le tour d’Hélène de sentir tout ce qu’il y a de cruel dans le ton presque officiel lorsqu’il succède à la plus douce intimité. Jules, qui redoutait surtout d’avoir l’âme déchirée par quelque mot froid s’élançant du cœur d’Hélène, avait pris le ton d’un avocat pour prouver qu’Hélène était sa femme bien avant le fatal combat des Ciampi. Hélène le laissait parler, parce qu’elle craignait d’être gagnée par les larmes, si elle lui répondait autrement que par des mots brefs. À la fin, se voyant sur le point de se

  1. En Italie, la façon d’adresser la parole par tu, par vo ou par lei, marque le degré d’intimité. Le tu, reste du latin a moins de portée que parmi nous.