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son désespoir ; il vit trop bien qu’il n’y avait pour lui qu’une femme au monde. Il se figurait le supplice qu’il souffrirait en osant prononcer le mot d’amour devant une autre qu’Hélène : cette idée le déchirait.

Il fut pris d’un accès de rire amer.

— Me voici exactement, pensa-t-il, comme ces héros de l’Arioste qui voyagent seuls parmi des pays déserts, lorsqu’ils ont à oublier qu’ils viennent de trouver leur perfide maîtresse dans les bras d’un autre chevalier… Elle n’est pourtant pas si coupable, se dit-il en fondant en larmes après cet accès de rire fou ; son infidélité ne va pas jusqu’à en aimer un autre. Cette âme vive et pure s’est laissé égarer par les récits atroces qu’on lui a faits de moi ; sans doute on m’a représenté à ses yeux comme ne prenant les armes pour cette fatale expédition que dans l’espoir secret de trouver l’occasion de tuer son frère. On sera allé plus loin : on m’aura prêté ce calcul sordide, qu’une fois son frère mort, elle devenait seule héritière de biens immenses… Et moi, j’ai eu la sottise de la laisser pendant quinze jours entiers en proie aux séductions de mes ennemis ! Il faut convenir que si je suis bien malheureux, le ciel m’a fait aussi bien dépourvu de sens pour diriger ma vie ! Je suis un être bien misérable,