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noble d’Octave qui n’alarmât sa mère ; ses yeux si beaux et si tendres lui donnaient de la terreur. Ils semblaient, quelquefois regarder au ciel et réfléchir le bonheur qu’ils y voyaient. Un instant après, on y lisait les tourments de l’enfer.

On éprouve une sorte de pudeur à interroger un être dont le bonheur paraît aussi fragile, et sa mère le regardait bien plus qu’elle n’osait lui parler. Dans les moments plus calmes, les yeux d’Octave semblaient songer à un bonheur absent ; on eût dit une âme tendre séparée par un long espace d’un objet uniquement chéri. Octave répondait avec sincérité aux questions que lui adressait sa mère, et cependant elle ne pouvait deviner le mystère de cette rêverie profonde et souvent agitée. Dès l’âge de quinze ans, Octave était ainsi, et madame de Malivert n’avait jamais pensé sérieusement à la possibilité de quelque passion secrète. Octave n’était-il pas maître de lui et de sa fortune ?

Elle observait constamment que la vie réelle, loin d’être une source d’émotions pour son fils, n’avait d’autre effet que de l’impatienter, comme si elle fût venue le distraire et l’arracher d’une façon importune à sa chère rêverie. Au malheur près de cette manière de vivre qui semblait étrangère à tout ce qui l’environnait, madame de Malivert ne pouvait s’empêcher de reconnaître chez Octave une âme droite et forte, toute de génie et d’honneur. Mais cette âme savait fort bien quels étaient ses droits à l’indépendance et à la liberté, et ses nobles qualités s’alliaient étrangement avec une profondeur de dissimulation incroyable à cet âge. Cette cruelle réalité vint détruire, en un instant, tous les rêves de bonheur qui avaient porté le calme dans l’imagination de madame de Malivert.

Rien n’était plus importun à son fils, et l’on peut dire plus odieux, car il ne savait pas aimer ou haïr à demi, que la