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moins au spectacle. — « Je reste où je suis le plus heureux, » disait Octave. — Il y a des moments où je te crois, et c’est quand je suis avec toi, répondait son heureuse mère ; mais si pendant deux jours je ne t’ai vu que devant le monde, la raison reprend le dessus. Il est impossible qu’une telle solitude convienne à un homme de ton âge. J’ai là pour 74,000 francs de diamants inutiles, et ils le seront longtemps, puisque tu ne veux pas te marier encore ; dans le fait, tu es bien jeune, vingt ans et cinq jours ! et madame de Malivert se leva de sa chaise longue pour embrasser son fils. J’ai bien envie de faire vendre ces diamants inutiles, je placerai le prix, et le revenu de cette somme je l’emploierai à augmenter ma dépense ; je prendrais un jour, et, sous prétexte de ma mauvaise santé, je ne recevrais absolument que des gens contre lesquels tu n’aurais pas d’objection. — Hélas ! chère maman, la vue de tous les hommes m’attriste également ; je n’aime que toi au monde…

Lorsque son fils l’eut quittée, malgré l’heure avancée, madame de Malivert, troublée par de sinistres pressentiments, ne put trouver le sommeil. Elle essayait en vain d’oublier combien Octave lui était cher, et de le juger comme elle eût fait d’un étranger. Toujours, au lieu de suivre un raisonnement, son âme s’égarait dans des suppositions romanesques sur l’avenir de son fils ; le mot du commandeur lui revenait. Certainement, disait-elle, je sens en lui quelque chose de surhumain ; il vit comme un être à part, séparé des autres hommes. Revenant ensuite à des idées plus raisonnables, madame de Malivert ne pouvait concevoir que son fils eût les passions les plus vives ou du moins les plus exaltées, et cependant une telle absence de goût pour tout ce qu’il y a de réel dans la vie. On eût dit que ses passions avaient leur source ailleurs et ne s’appuyaient sur rien de ce qui existe ici-bas. Il n’y avait pas jusqu’à la physionomie si