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d’ajouter foi au rapport des organes que lui-même il m’a donnés ? — Ah ! j’ai toujours peur d’irriter cet être terrible, dit madame de Malivert les larmes aux yeux ; il peut t’enlever à mon amour. Il est des jours où la lecture de Bourdaloue me glace de terreur. Je vois dans la Bible que cet être tout-puissant est impitoyable dans ses vengeances, et tu l’offenses sans doute quand tu lis les philosophes du dix-huitième siècle. Je te l’avoue, avant-hier, je suis sortie de Saint-Thomas d’Aquin dans un état voisin du désespoir. Quand la colère du Tout-Puissant contre les livres impies ne serait que la dixième partie de ce qu’annonce M. l’abbé Fay***, je pourrais encore trembler de te perdre. Il est un journal abominable que M. l’abbé Fay*** n’a pas même osé nommer dans son sermon et que tu lis tous les jours, j’en suis sûre. — Oui, maman, je le lis, mais je suis fidèle à la promesse que je t’ai faite, je lis immédiatement après le journal dont la doctrine est la plus opposée à la sienne.

— Cher Octave, c’est la violence de tes passions qui m’alarme, et surtout le chemin qu’elles font en secret dans ton cœur. Si je te voyais quelques-uns des goûts de ton âge pour faire diversion à tes idées singulières, je serais moins effrayée. Mais tu lis des livres impies, et bientôt tu en viendras à douter même de l’existence de Dieu. Pourquoi réfléchir sur ces sujets terribles ? Te souvient-il de ta passion pour la chimie ? Pendant dix-huit mois, tu n’as voulu voir personne, tu as indisposé par ton absence nos parents les plus proches ; tu manquais aux devoirs les plus indispensables. — Mon goût pour la chimie, reprit Octave, n’était pas une passion, c’était un devoir que je m’étais imposé ; et Dieu sait, ajouta-t-il en soupirant, s’il n’eût pas été mieux d’être fidèle à ce dessein et de faire de moi un savant retiré du monde !

Ce soir-là Octave resta chez sa mère jusqu’à une heure. Vainement l’avait-elle pressé d’aller dans le monde, ou du