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heureux mélange de causticité et d’ingénuité, des mouvements du cœur et de l’imagination, les meilleurs temps de la conversation entre gens d’esprit. Ce mérite est assez rare de nos jours pour qu’on accorde un souvenir, pour qu’on regrette sincèrement celui qui le possédait à un si haut degré.

En écrivant la biographie de Beyle, je me suis constamment attaché à le représenter tel qu’il m’apparaissait, sans m’écarter un instant de ce que je croyais être la vérité ; mais il est une partie de sa vie, la plus importante pour l’histoire de son cœur, qui doit rester secrète : c’est celle qui se rapporte aux affections tendres. Je me crois obligé, cependant, de ne pas la passer entièrement sous silence ; car on s’est ri fort souvent des prétentions que Beyle laissait entrevoir de temps en temps à ce sujet. Sans doute, il a pu s’écarter quelquefois des règles du bon goût et du bel usage ; mais au fond, il n’y a jamais eu de sa part de légèreté compromettante. Personne n’a porté plus loin que lui l’extrême discrétion sur ce chapitre : moi-même, son confident en toute autre chose, je n’ai jamais été le dépositaire d’aucun secret de cette nature.

L’originalité et la vivacité de son esprit et, quoi qu’on en ait pu dire, la bonté de son cœur, faisaient aisément passer sur des désavantages physiques. On peut donc tenir pour certain que Beyle a fait de véritables passions, et que, dès l’âge de quinze ans et jusqu’à sa mort, l’amour a été sa principale pensée, le mobile de toutes ses actions. J’ajouterai même que c’est dans la classe élevée que ses hommages ont été accueillis avec le plus de faveur.

Dans le même article de la Revue des Deux Mondes, dont j’ai déjà cité un passage, l’auteur peint sous de charmantes couleurs une femme avec laquelle Beyle eut, pendant de longues années, une de ces liaisons délicieuses, difficiles à définir, tenant en parfait équilibre l’amitié et l’amour, donnant les plus douces jouissances à l’abri des orages du cœur, et ayant, par cela même, un caractère de durée, qui ajoute singulièrement au bonheur des êtres privilégiés, qu’un tel nœud peut réunir. Des circonstances qui me seront toujours chères, m’ayant procuré la connaissance de la femme si distinguée dont parle M. Bussière, je dois déclarer que son éloge,