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Ayant conservé fort tard la prétention à passer pour homme à bonnes fortunes, prétention qui, il faut le reconnaître, n’était pas dénuée de fondement, Beyle professait une soumission absolue aux lois de la mode. Si différent des autres, en toute chose, il se rapprochait du vulgaire sur un point : la mode. Personne ne suivait plus aveuglément les mille caprices de cette sotte déité parisienne. Il mettait donc à contribution toutes les ressources de l’art, pour corriger ou dissimuler les torts de la nature envers lui, comme les traces de la marche du temps. Ainsi, à cinquante-neuf ans, Beyle se coiffait comme un jeune homme. Sa tête, faiblement garnie de cheveux, au moyen d’un fort toupet d’emprunt, offrait l’aspect d’une chevelure à peu près irréprochable. De gros favoris, prolongés en un large collier de barbe passant sous le menton, encadraient la face. Est-il besoin d’ajouter que les cheveux et la barbe étaient soigneusement teints en brun foncé. Puis, le cigare à la bouche, le chapeau légèrement sur l’oreille et la canne à la main, il se mêlait aux beaux du boulevard des Italiens. Sa susceptibilité pour tout ce qui composait sa toilette était extrême ; une observation, quelque légère qu’elle fût, sur la coupe d’un habit ou d’un pantalon, pouvait le choquer sérieusement, car elle lui apparaissait comme une sorte d’épigramme à l’adresse de son physique : c’était chez lui une fibre délicate.

Lors de son dernier voyage à Londres, en 1838, Beyle fut présenté à l’Athenæum, par son ancien ami M. Sutton-Sharp, l’un des avocats les plus distingués de l’Angleterre. L’Athenæum est le club des hommes de lettres. Là, Beyle eut occasion de rencontrer Théodore Hook et d’entrer en relations avec ce bel esprit, renommé dans les trois royaumes, pour ses romans, ses vaudevilles, ses chansons, ses calembours. Hook, ancien rédacteur en chef du New Monthly Magazine, où Beyle avait inséré, dix ans auparavant, un assez grand nombre d’articles, dut faire bon accueil à son brillant confrère. Tout porte donc à croire que ces deux hommes, entre lesquels on pourrait trouver plus d’un point de ressemblance, se convinrent réciproquement et que leurs relations furent agréables à tous deux.