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parvenait à rendre la conversation générale ; chose difficile et presque inusitée de nos jours, où lorsque trois personnes sont réunies, il y a déjà deux conversations qui vont ensemble, sans aucun rapport ; de nos jours, dont les routs ressemblent à des lieux ouverts à tout venant, et où il se consomme à peu près autant d’esprit qu’à un bal costumé, composé de gens qui se voient pour la première fois. Beyle devait à son amabilité de triompher souvent de tous les dissolvants qui tendent à briser la société française.

Avec les succès de salon marchaient parallèlement les travaux littéraires. Il imprimait des livres, donnait des articles aux journaux, aux revues françaises et anglaises, toujours pseudonymes ou anonymes, mais auxquels les lecteurs dont il ambitionnait plus particulièrement le suffrage mettaient tout de suite le nom de l’auteur. En 1822, il essaya de fonder une Revue : l’Aristarque. Cette feuille destinée à faire connaître au public les livres à lire, aurait paru le quinze de chaque mois. Ce projet n’eut pas de suite ; probablement il survint quelque obstacle pécuniaire.

Beyle parlait souvent avec dédain et dérision de sa ville natale ; mais, par une de ces bizarreries qui lui étaient particulières, le besoin de revoir les belles et gracieuses montagnes du Dauphiné se faisait sentir à lui tous les deux ou trois ans ; c’était chaque fois l’objet d’une courte apparition à Grenoble. Pendant l’une d’elles, en octobre 1824, il rôdait autour de l’ancienne propriété de son père à Claix ; on vendangeait, il voulut goûter du raisin qu’il avait savouré autrefois. Mais grand fut son embarras pour satisfaire cet ardent désir ; car il fallait avant tout garder le plus strict incognito. Bref, après une multitude de petites hésitations, il acheta quelques grappes de raisin du métayer, assez étonné de l’empressement et de la contenance mal assurée avec lesquels l’inconnu lui adressait une demande inaccoutumée dans le pays. Beyle me redisait avec un plaisir charmant la sensation délicieuse que lui procura ce raisin mangé sur les lieux mêmes où les plus doux moments de son enfance s’étaient écoulés.

Il concourut à l’élection de l’abbé Grégoire, lorsque le département de l’Isère l’envoya à la chambre des députés, en