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Stendhal, il est juste que j’offre mes remercîments (agréables ou non, et pour ce qu’ils valent) à M. Beyle, avec qui j’eus l’honneur de faire connaissance à Milan, en 1816. Vous m’avez fait trop d’honneur par ce qu’il vous a plu de dire dans cet ouvrage ; mais ce qui m’a causé autant de plaisir que les louanges mêmes que vous me donnez, c’est d’apprendre enfin (par hasard) que j’en suis redevable à quelqu’un dont j’étais réellement ambitieux d’obtenir l’estime. Tant de changements ont eu lieu depuis cette époque dans le cercle de Milan, que j’ose à peine en rappeler le souvenir… La mort, l’exil et les prisons autrichiennes ont séparé ceux que nous aimions… Le pauvre Pellico ! J’espère que dans sa solitude cruelle, sa Muse le console quelquefois… pour nous charmer encore un jour quand son poëte sera rendu avec elle à la liberté.

» De vos ouvrages, je n’ai vu que Rome, les Vies de Mozart et d’Haydn, et la brochure sur Racine et Shakspeare. Je n’ai pas eu encore la bonne fortune de trouver votre Histoire de la peinture.

» Il y a dans votre brochure une partie de vos observations sur lesquelles je me permettrai quelques remarques : c’est au sujet de Walter Scott. Vous dites que son caractère est peu digne d’enthousiasme, en même temps que vous mentionnez ses ouvrages comme ils méritent de l’être. Je connais depuis longtemps Walter Scott ; je le connais beaucoup, et je l’ai vu dans des circonstances qui mettent en évidence le vrai caractère de l’homme. Je puis donc vous certifier que son caractère est digne d’admiration, que de tous les hommes il est le plus franc, le plus honorable, le plus aimable. Quant à ses opinions politiques, je n’ai rien à en dire : comme elles diffèrent des miennes, il est difficile pour moi d’en parler ; mais il est parfaitement sincère dans ses opinions, et la sincérité peut être humble, mais elle ne saurait être servile. Je vous prie donc de corriger ou d’adoucir ce passage. Vous pourriez attribuer peut-être ce zèle officieux de ma part à une fausse affectation de candeur, parce que je suis auteur moi-même ; attribuez-le au motif que vous voudrez, mais croyez la vérité : je dis que Walter Scott est aussi excellent homme qu’un homme peut l’être, parce que je le sais par expérience.