Page:Stendhal - Armance, Lévy, 1877.djvu/52

Cette page a été validée par deux contributeurs.

faisait de grands et vains efforts sur lui-même pour ne pas s’abandonner au désespoir.

Profitant du voisinage de l’Angleterre, il y fit une excursion pendant le mois d’août ; ce petit voyage se borna à une courte apparition à Londres ; avant la fin de l’année Beyle reprit la route de Milan.

Vers le milieu de l’année 1820, son bonheur fut sérieusement troublé par un de ces incidents qu’on appelle généralement : une tuile tombant sur la tête. L’intempérance de sa langue lui avait suscité des jaloux, des ennemis. L’un d’eux eut l’idée de répandre le bruit, dans Milan, que ce philosophe étourdi, à l’air insouciant et léger, était un agent secret du gouvernement français. Cette infâme calomnie eut accès dans les sociétés où Beyle était reçu avec le plus d’empressement auparavant. Pendant assez longtemps il chercha à s’expliquer, et sans pouvoir s’en rendre compte, l’espèce de froideur avec laquelle on l’accueillait. Un jour, enfin, il en connut la cause et son malheur fut affreux ! Il l’exprime en termes touchants dans une lettre du 23 juillet 1820 :

« Voilà le coup le plus terrible que j’aie reçu dans ma vie ! »

La Providence avait sans doute arrêté qu’aucune idée, qu’aucun projet ne lui resteraient étrangers. Pendant un séjour à Bologne dans cette même année, Beyle s’éprit d’une véritable passion pour cette ville aimable. Là, au milieu des plaisirs que la société et les arts peuvent offrir à un esprit délicat, il s’enquit du revenu des terres, du taux de l’intérêt de l’argent, du mouvement des affaires commerciales, et songea sérieusement à réunir quelques fonds pour s’établir banquier à Bologne ! L’argent y rapportant alors communément douze à quinze pour cent, il comptait avec un capital de quarante mille francs, se faire largement un revenu en rapport avec ses besoins.

Beyle a toujours adoré l’imprévu, ne pouvant se plier à aucune gêne imposée par un devoir quelconque, et se trouvant en insurrection permanente contre toute obligation à l’accomplissement de laquelle n’était attaché aucun plaisir. Céder toujours à l’impression du moment, aurait été son unique