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sions qui animaient sa vie auparavant. Il croyait, au contraire, pendant la retraite, que les sensations éprouvées pendant dix-huit jours consécutifs, donneraient un nouvel aliment à son âme. Il n’en fut rien. L’ennui le prit à Kœnigsberg et augmenta à Dantzig. Cette froideur dans laquelle il était tombé, n’aurait pas été absolument sans charme, si le souvenir du bonheur que lui donnait son existence antérieure ne l’eût troublé à chaque instant.

En 1813, il était à Mayence, à Erfurth, à Lutzen, à Dresde, avec le quartier général de l’Empereur. Il remplissait à Sagan (Silésie) les fonctions d’intendant. Cependant sa santé, fort altérée par la retraite de Moscou et par des fatigues de tout genre, l’obligea à prendre quelque repos, sous un climat plus doux ; six semaines de séjour sur les bords du lac de Como et à Naples, pendant les mois d’octobre et de novembre, le rétablirent tout à fait. D’ailleurs, cette âme de trente ans, ce cœur si disposé à s’enflammer, étaient délicieusement occupés ; l’amour et le dolce far niente remplissaient de bonheur tous ses instants.

Au commencement de janvier 1814, lorsque les armées ennemies envahissaient de tous les côtés le territoire de l’empire, le gouvernement envoya M. le sénateur, comte de Saint-Vallier, à Grenoble, en qualité de commissaire extraordinaire. Beyle lui fut adjoint, et reçut des instructions particulières de Napoléon à ce sujet. Il donna dans cette importante circonstance de nouvelles preuves de capacité. Le sénateur prenait des arrêtés pour toutes les mesures urgentes, faisait des proclamations, appelait les Dauphinois aux armes, etc. ; c’était Beyle qui, en réalité, agissait et dirigeait le sénateur.

Je ne puis me dispenser de mentionner ici une circonstance de cette mission, qui attira quelque ridicule sur Beyle, sans qu’il y eût presque de sa faute ; voici le fait. Lui, dont les amers sarcasmes ont si souvent poursuivi les gens titrés, avait affublé son nom, sous l’empire, de la particule appartenant à la noblesse. Alors, comme aujourd’hui, c’était la grande affaire des petits bourgeois enrichis ; un hasard malencontreux lui fit partager momentanément leur sottise.